Soupir à l’opéra
« La scène lyrique française traverse une crise majeure, relevant de défis financiers, artistiques et structurels complexes. Les artistes, plongés dans un équilibre précaire, appellent à une réflexion approfondie sur le modèle économique et les pratiques actuelles. »
« (…) Il est aujourd’hui très difficile de construire une carrière sereinement. Seuls les chanteurs les plus en vue pourront s’octroyer le luxe de refuser des rôles, d’être prudents, patients. Pour les autres, c’est la course au cachet. Outre ces difficultés, les artistes font face à une pression constante liée à une composante inhérente à leur métier : la représentation. Certains d’entre eux, pris dans cet engrenage, se trouvent en perpétuelle mise en scène, que ce soit sur les planches, dans les médias, ou sur les réseaux sociaux. Les réseaux sociaux, parlons-en. Ils se sont imposés comme un outil de communication quasi incontournable pour les artistes, pour le meilleur et pour le pire. En s’exposant ainsi, ces derniers sont jetés en pâture aux lions : chacun y va de son petit commentaire cinglant et des quidams en mal de reconnaissance – le malaise est encore plus grand lorsqu’il s’agit de chanteurs, de collègues donc – se mettent à exposer publiquement leur avis sur un artiste, sa voix, sa technique, sans jamais avoir suivi un cours de chant, ni savoir à quoi ressemble un larynx. (…) »
« C’est dans un équilibre précaire où se superposent vie privée et représentation de soi que les artistes lyriques naviguent au quotidien, jonglant avec les attentes du public et le sentiment de devoir constamment faire leurs preuves, tout en faisant face à des défis personnels souvent tus. Il ne s’agit pas de faire du prosélytisme mais d’éveiller les consciences, sinon d’informer sur la réalité d’un métier qui a profondément changé derrière le rideau, à l’abri des regards. (…) »
« Concernant la fréquentation des salles, de nombreux amateurs avouent ne plus se rendre à l’Opéra en raison des mises en scène créées ces dernières années, jugées rebutantes, trop éloignées des livrets et “excessivement intellectualisées”, tenant également à l’écart un public non averti. Certaines d’entre elles semblent uniquement répondre aux fantasmes de metteurs en scène nombrilistes animés par le désir de choquer. Les chanteurs partagent également ces préoccupations, notamment lorsque les décors ne sont pas adaptés aux exigences du chant, ajoutant ainsi une difficulté supplémentaire à l’exécution de leur art. S’il s’avère que le public ne se rend plus à l’opéra pour ces raisons, la question se pose alors sur le financement de ces mises en scène par l’argent public, même si le travail de certains metteurs en scène avant-gardistes, artistes de premier plan, fait salle comble. (…) »
« Certains acteurs de la profession ont déjà abordé les problématiques que les crises qui se sont succédé ces dernières années ont mises en exergue, proposant des alternatives et des pistes de réflexion. On peut citer le ténor Sébastien Guèze et ses réflexions sur « l’opéra décarboné » dans son essai Bioopéra, un futur pour l’opéra, Jean-Philippe Thiellay avec son plaidoyer pour l’art lyrique, L’Opéra s’il vous plaît, Serge Dorny, intendant du Bayerische Staatsoper de Munich, et son livre Penser l’opéra à présent, Loïc Lachenal, directeur de l’Opéra de Rouen, dans une interview pour Le Monde, ainsi que la tribune du baryton Thomas Dolié en février dernier dans ce même quotidien : « Certains s’inquiètent depuis longtemps des conséquences prévisibles d’un modèle économique obsolète et de pratiques inadaptées aux défis actuels. » » (…)
Maxime Pierre
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